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LES SIÈCLES MORTS

Mes bras ne presseront contre mes seins avides
Que des monstres sans forme et des spectres livides.
Aveugle, ceint d’un mur de fer, sans horizon,
L’Abîme inférieur m’ouvrira sa prison ;
Et j’entrerai, traînant, comme une esclave errante,
L’inutile fardeau de ma beauté mourante.
Car les mois réguliers ont déjà, dans leur cours,
Ramené l’heure triste et les funestes jours
Où j’ai cherché Douzi dans la blême étendue
Du Pays sans retour où je suis descendue.

Hélas ! le souvenir, tel qu’une vaste mer
Qui déferle et mugit, gronde en mon cœur amer.
Je regarde émerger de l’ombre primitive
L’univers ébloui de ma splendeur native.
Je revois s’élancer sur les flots éclatants,
Solitaire et pensif, l’Esprit des premiers temps,
Et croître et flamboyer, dans le ciel de mon Père,
La face aux rayons d’or de mon Astre prospère,
Lorsque sur Babilou la nuit obscurcissait
Le fuyant crépuscule où Šamaš palissait.
Palmier, qui, verdissant parmi les fleurs divines,
Jusqu’au fond de l’Abîme étendais tes racines,
Salut ! Mon bien-aimé, le front sur mon genou,
Dormait sous ton feuillage au jardin d’Éridou.
Là, comme une forêt, ton auguste ramure
Abritait au milieu ma couche immense et pure,
Où, loin des yeux humains et des pieds étrangers,
Plus doux que l’huile épaisse et les fruits des vergers.