Page:Guerne - Les Siècles morts, I, 1890.djvu/83

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Meurtri, répudié comme un lépreux qu’on chasse
Hors des tentes et loin des cités et des murs,
Vain spectre de moi-même et terreur de ma race,
J’erre, et mon corps saignant nourrit des maux impurs.

Comme un bœuf égaré va broutant l’herbe rase
Et s’arrête et mugit vers les enclos connus,
Tel j’hésite. Ma voix sur les rochers s’écrase
Et le vent de la nuit roidit mes membres nus.

Mon cœur d’homme est séché ; ma poitrine avilie
Abrite un cœur de loup tortueux et grossier.
Au bruit de mots humains que ma mémoire oublie
Ma langue épaisse et lourde adhère à mon gosier.

Et le poil de ma face est comme une crinière
Formidable et sordide où pullulent les poux ;
Et lorsque je me lève, au fond de ma tanière,
Mes cheveux en torrent roulent sur mes genoux.

Le jour meurt. C’est l’instant où les chasseurs nocturnes,
Altérés, les flancs creux et mordus par la faim,
Suivent à pas pesants, courbés et taciturnes,
La piste fraîche encor sur le sable sans fin.

J’entends monter du fond des marais et des plaines
La confuse rumeur des bêtes de la nuit.
Autour de moi, dans l’air plein de chaudes haleines,
Tout un peuple invisible et furieux bruit.

Des souffles courts, des chocs soudains, des bonds énormes,