Page:Guerne - Les Siècles morts, III, 1897.djvu/116

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pas à une œuvre longue et sévère, consciencieusement poursuivie dans l’étude et le silence.

Jadis, au temps troublé des décadences, des hommes, lassés des luttes fratricides, indifférents aux choses périssables, abandonnaient les villes et, loin des bruits du monde, délivrés des travaux et des soucis transitoires, demandaient à la solitude la paix du cœur et l’oubli de tout ce qui n’était pas divin. Sans doute, ils ne déposèrent pas toujours au seuil des cellules monastiques le fardeau des passions humaines, mais ils emportèrent avec eux le songe sublime d’un nouvel idéal. Comme les anachorètes des siècles anciens, nous vivons en un âge barbare. A tout ce qui fut beau, à tout ce qui n’apporte pas une satisfaction immédiate et matérielle, à tout ce qui ne contribue pas à l’utilité brutale de l’existence, notre époque prodigue ses dédains ou sa pitié. N’envisageons pas le sort que l’avenir réserve à la Poésie. Une amère mélancolie envahirait nos âmes et dessécherait ce qui reste encore en elles de piété et d’espérance. Croyons seulement que la Poésie est le don gratuit et suprême et que si elle doit succomber avec nos races épuisées, elle ressuscitera sous d’autres deux, dans la jeunesse et l’immortalité. Pour nous, pareils aux moines austères de la vieille Égypte, plus policés et plus tolérants, mais non moins tristes et non moins désabusés, enfermons, nous aussi, notre rêve consolateur dans une inviolable Thébaïde.

Paris, juillet 1896.