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Page:Guillaume d’Orange, le marquis au court nez (trad. Jonckbloet).djvu/149

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— Misérable, c’est moi que tu rends malheureux. Je te traînerai devant le roi, et par saint Jacques ! si tu ne reçois pas le gant avec Guillaume, tu feras connaissance avec mon épée, et pas un chirurgien ne pourra te guérir et te sauver la vie. Va chercher fortune, puisque tu n’as rien, comme j’ai fait, moi, dans ma jeunesse ; car je te jure que tu n’auras pas un gant plein de mes biens ; je les distribuerai à qui je voudrai.

Les deux jeunes gens montèrent sur une table, pour recevoir, à la vue de tout le monde, le don symbolique, et Guibelin s’écria à haute voix :

— J’ai été battu par mon père, mais par saint Jacques ! les Sarrasins me le paieront. Ils peuvent dire qu’ils sont entrés dans une mauvaise année, car ils mourront par centaines et par milliers.

Guillaume aussi monta sur une table, et élevant la voix il s’adressa aux assistants, et leur dit :

— Entendez-moi, nobles hommes de France. Par Dieu ! je puis me vanter d’avoir un domaine plus étendu que trente de mes pairs n’en possédent. Mais il n’est pas encore conquis. Je dis donc aux pauvres bacheliers, qui n’ont que des chevaux boiteux et des vêtements déchirés, si jusqu’ici ils n’ont rien gagné à servir, s’ils veulent courir avec moi les chances de la guerre, je leur donnerai deniers et biens, chevaux d’Espagne, châteaux, terres et donjons, pourvu qu’ils m’aident à conquérir le pays et à y rétablir la religion de Dieu. Et aux pauvres écuyers je dis la même chose, et d’ailleurs ils seront armés chevaliers.

À ces paroles tous s’écrièrent :

— Seigneur Guillaume, pour Dieu ! hâtez-vous. Celui qui n’a pas de cheval pour vous suivre, ira à pied.

Chevaliers et écuyers accoururent de toutes parts, et s’armèrent comme ils purent. Bientôt trente mille hommes furent prêts ; ils jurèrent au comte qu’ils ne lui feraient pas défaut au besoin, dût-on leur couper les membres.