Page:Guillaume d’Orange, le marquis au court nez (trad. Jonckbloet).djvu/171

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
168

L’ordre fut aussitôt exécuté, et lorsque l’étranger se fut pleinement rassasié, il s’assit aux pieds du comte et se prépara à lui faire son récit.

— Ami, dans quel pays es-tu né ? Comment t’appelles-tu, et où as-tu vécu en France ? lui demanda Guillaume.

— Monseigneur, dit Gilbert, je suis fils du duc Gui d’Ardenne, qui eut sous sa domination l’Artois et le Vermandois. Je revenais d’Allemagne par la Bourgogne et je descendais le lac de Lausanne ; je fus surpris par une tempête qui me jeta dans le port de Gènes (Genève). Un peu plus tard les païens me firent prisonnier à Lyon sur le Rhône et me menèrent à Orange. D’ici jusqu’au Jourdain il n’y a pas de forteresse pareille ; les murs en sont hauts et la tour élevée et large. Vingt mille païens bien armés y tiennent garnison et font bonne garde ; car ils craignent fort que le roi Louis ne s’en rende maître, ou vous, beau sire, et les barons de France. Ils sont commandés par Arragon, un puissant émir païen, fils du roi Thibaut d’Espagne.

— Certes, dit Guillaume, la ville est très-forte, mais par le Dieu en qui je crois ! je ne veux plus jamais porter écu ni lance, si je n’y plante bientôt ma bannière.

Puis, pour mieux entendre l’étranger, il s’assit à côté de lui sur le perron et lui dit d’un ton amical :

— Beau frère, les Sarrasins t’ont donc longtemps retenu prisonnier ?

— Oui, monseigneur, plus de trois ans. Malgré tous mes efforts je ne réussis pas à m’échapper, jusqu’à ce qu’un beau matin mon geôlier félon et orgueilleux, voulut me battre, comme il le faisait souvent. Je le saisis par les cheveux et je lui donnai un tel coup de poing, que je lui brisai la machoire. Ensuite je m’échappai par la fenêtre, sans être aperçu ; je me sauvai à Beaucaire, en suivant le cours du Rhône ; enfin j’arrivai ici.

— Et Orange est-il aussi richement bâti, qu’on le dit ?

— Ah, beau sire si vous voyiez le palais de la ville, dont toutes les salles sont voûtées et ornées d’arabesques do-