Page:Guillaume d’Orange, le marquis au court nez (trad. Jonckbloet).djvu/254

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
251

chemin parmi les morts. Arrivé près du jeune homme, la douleur l’empêcha de proférer une seule parole.

Il le vit pâle et défait, le corps et la figure inondés de sang et une partie de sa cervelle répandue sur ses yeux. Son épée était à côté de lui. Il avait la tête tournée vers l’Orient, et de temps en temps de sa main droite il frappait sa poitrine, en demandant pardon à Dieu de ses péchés. Les angoisses de la mort l’oppressaient, et son agonie avait commencé. C’était merveille qu’il n’eût succombé depuis longtemps.

— Mon Dieu ! dit enfin le comte Guillaume, voici une perte irréparable, dont mon cœur saignera toute ma vie durant. Ah Vivian ! depuis la création il n’exista pas d’homme aussi hardi que vous, et voilà que les Sarrasins vous ont tué ! Un lion n’avait pas plus de courage. Et avec cela vous n’étiez ni orgueilleux, ni hâbleur : vous ne vous êtes jamais vanté de vos hauts faits ; au contraire, vous étiez aussi doux et humble que brave. Vous ne redoutiez roi ni émir, et vous avez tué plus de Turcs et de Persans que nul autre homme. Jamais vous n’avez fui ou reculé d’un seul pied ; vous étiez le plus valiant chevalier du monde, et vous voilà étendu mort. Ah ! terre, entr’ouvre-toi pour engloutir l’homme le plus malheureux du monde. Jamais je ne reverrai Orange, et dame Guibor m’attendra en vain.

En disant cela, le comte sanglota et se tordit les mains ; sa douleur était si grande qu’il en perdit connaissance et tomba de cheval.

Lorsqu’il fut revenu à lui, il se traîna vers le jeune homme et le soulevant dans ses bras, lui dit :

— Vivian, parlez, répondez-moi !

En pleurant il lui baise le front, la poitrine et la bouche à l’haleine parfumée. Puis plaçant ses deux mains sur sa poitrine, il cherche à reconnaître un battement de cœur. Comme il ne surprit pas le plus léger souffle de vie, il donna cours à ses regrets :