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— Mon Dieu, soupira-t-il, je ne sais que faire. Il y va de mon honneur que Guillaume ait une bonne et forte armure, grande et large et bien faite, ainsi qu’un cheval de bonne qualité.

En ce moment l’abbé de Saint-Denis s’approcha de lui, et se baissant sur la table à laquelle l’empereur était assis, il lui dit à demi-voix :

— Noble empereur, je vous donnerais bien un conseil bon et profitable, si vous vouliez le suivre. Ce damoisel n’a aucune mesure, il est prétentieux et fort irritable ; si vous le retenez auprès de vous, il deviendra un vrai diable qui détruira toute la belle France. Il réduira les abbayes en pauvreté et ne leur laissera denier ni maille, chape ni robe, ni pelisse de quelque valeur.

Mais je connais un expédient. J’ai dans mon trésor une armure telle que jamais homme né de mère n’en vit de pareille. Le roi Alexandre la conquit en Orient. Je la lui donnerai, Sire, si vous le permettez ; et quand il la possédera, jamais il ne voudra s’en défaire. Pour Dieu, Sire, armez-le de ces armes, et puis qu’il aille en Pouille ou en Calabre ou en Espagne combattre les Sarrasins, et que les châteaux et les terres qu’il pourra conquérir, lui appartiennent, n’en demandez pour vous un seul denier vaillant, mais qu’il s’en aille à tous les diables. Dieu veuille qu’il ne revienne jamais en France.

— Ce n’est pas un sage conseil que vous me donnez, lui répondit l’empereur. Mais faites toujours chercher l’armure.

On apporta les armes qu’on plaça devant l’empereur sur un tapis d’Afrique. On retira le haubert de son riche étui et il brilla au soleil, comme si l’on avait allumé vingt torches. Quand Guillaume l’eut vu il se mit à rire.

— Seigneur Guillaume, lui dit l’empereur, l’orgueil poussé trop loin devient un outrage ; prenez donc ces armes, je vous les donne.

— Je vous en remercie, Sire, répondit Guillaume ; quelles