Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/124

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chercher à me rapprocher d’elle, tellement j’étais troublé et tellement son air froid et sérieux continuait à m’en imposer.

Les jours d’après, je crus avoir rêvé… Il ne me semblait pas possible que j’aie trahi ainsi la confiance de Boulois, que j’aie demandé pour mon compte cette Victoire pour laquelle je ne ressentais d’autre attirance que celle qui résultait de sa situation de fille aisée ! Et pourtant, c’était fait ! Que les grands événements de la vie tiennent donc à peu de chose : à une pensée qui se fait jour par hasard, à une disposition d’esprit passagère, à une minute d’audace, à un moment d’absence de conscience ou de réflexion…

Victoire, qui avait de l’amour pour moi, dut bien manœuvrer, car elle me dit le dimanche au bal que j’avais des chances, malgré que ses parents faisaient beaucoup d’objections. Ils lui donnaient un lit, une armoire, un peu de linge et trois cents francs d’argent — ce qui était beau pour l’époque. — Naturellement, ça les ennuyait que je n’aie rien du tout : ils me le déclarèrent tout net quand j’allai à la maison leur faire ma demande.

— Obtenez de votre père une somme au moins égale à celle de Victoire ; il vous doit bien cela, puisqu’il ne vous a pas racheté. À cette condition, nous consentirons au mariage, car nous vous connaissons comme bon travailleur et brave garçon.

Le bon accueil des parents m’étonna presque autant que celui de la fille. J’en sus plus tard le pourquoi. Leur fils, le soldat d’Afrique, avait eu une jeunesse orageuse ; il leur avait coûté beaucoup d’argent et causé beaucoup de désagréments, alors qu’il était à Moulins commis en rouennerie. D’un autre côté, leur gendre le verrier ne leur procurait aucune satisfaction ; il buvait fréquemment et il lui arrivait de battre sa femme : le