Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/133

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Une autre innovation dont tout le monde s’aperçut, ce fut l’établissement du suffrage universel. Je savais que les ouvriers des villes faisaient de cela une grande affaire et j’ai compris plus tard qu’ils avaient raison. Mais, à ce moment, je ne trouvais pas que le droit de vote fût une chose d’aussi grande importance que la suppression de l’impôt sur le sel.

Comme bien on pense, ces réformes ne faisaient pas plaisir aux riches. Les céréales augmentaient toujours : on disait que les gros bourgeois en avaient accumulé des approvisionnements considérables qu’ils faisaient jeter dans la mer, dans le but de provoquer la famine, en haine du gouvernement nouveau.

Il y eut bientôt des élections pour nommer les députés. Je reçus plusieurs papiers à cette occasion, et je m’en fus trouver M. Perrier, le priant de me les lire et de m’en expliquer l’usage. Très familier selon sa coutume, il s’empressa de me satisfaire. Dans leur programme, les candidats républicains parlaient de liberté, de justice, de bonheur du peuple et promettaient des réformes nombreuses : la création d’écoles et de routes, la diminution du temps de service, l’assistance aux infirmes et aux vieillards pauvres. Les conservateurs parlaient surtout de la France qu’ils voulaient unie, grande et forte ; ils voulaient la paix, l’ordre, la prospérité ; ils conseillaient de se méfier des utopistes révolutionnaires qui méditaient de tout bouleverser, de faire table rase des traditions séculaires de notre chère patrie et, — conséquemment, — de nous conduire aux abîmes. J’étais loin de comprendre le sens exact de toutes ces belles phrases. Mais il me sembla néanmoins que les conservateurs tentaient d’éblouir les électeurs par de grands mots qui ne signifiaient rien, alors que les républicains émettaient quelques bonnes idées pratiques. Je dis à M. Perrier ce que je pensais et