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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/147

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des récits d’orgie et d’amour de fraude. Ils parlaient aussi de leurs métayers dont ils raillaient la bêtise et la soumission, et de leurs propriétaires à qui ils se flattaient de faire avaler d’invraisemblables bourdes. Je compris qu’ils se considéraient comme des gens très supérieurs, dominant le reste de l’humanité de toute la pesanteur de leurs gros ventres, de toute la largeur de leurs faces rubicondes. Seul, le jeune docteur ne paraissait guère s’amuser. Il avait en ville, à côté de l’établissement thermal, son logement particulier, et il fréquentait peu la maison paternelle. Ses deux frères n’y faisaient plus, de leur côté, que de rares et courtes apparitions.

— Ils n’ont pas les habitudes du père ; ce n’est plus le même genre, m’avait dit la servante.

J’en conclus qu’eux aussi, probablement, se jugeaient des hommes supérieurs, supérieurs à ce fermier campagnard qu’était leur père, et à ses amis, qu’ils méprisaient beaucoup sans nul doute. Il n’est pas d’hommes tellement supérieurs qu’ils ne soient à l’abri de la qualification « d’imbéciles » que leur appliquent d’autres hommes plus supérieurs encore. Il y a là de quoi consoler ceux qui ne sont pas supérieurs du tout.

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Quand le domestique fut en état de reprendre son service, comme il me restait la libre disposition de quelques jours, Fauconnet me garda pour battre à la machine dans ses domaines de Bourbon. C’était, dans la région, le début des machines à battre ; les fermiers, après une assez longue période d’hésitation, venaient enfin de se décider à les adopter. Ils continuaient à fournir un tiers du personnel, comme au temps du fléau. (Ils se sont libérés depuis de cette obligation trop coûteuse et laissent à présent aux métayers toute la charge de la main-d’œuvre.)