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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/16

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blait extraordinairement gai ; de gros rires secouaient les visages animés. On me servit à manger un reste de viande, de la galette et de la brioche ; puis un vieillard me fit faire des galopades sur ses genoux : j’eus ma part de la joie générale.

Mais le lendemain, j’entendis ma mère dire à mon père d’un ton fâché que ça revenait joliment coûteux de faire la Saint-Martin. Et lui appuya :

— Je crois bien… Heureusement que ce n’est pas une chose qu’on recommence souvent.

Ma mère conclut :

— On serait vite épuisé, s’il fallait recommencer souvent…

J’avais alors quatre ans : je puis donner comme mes plus vieux souvenirs ces quelques épisodes du déménagement.


II


Notre ferme possédait en bordure du bois toute une zone vierge encore des fouilles de l’araire où croissaient seulement, en plus d’une herbe fine, des bruyères, des genêts, des ronces et des fougères, et où de grosses pierres grises saillaient du sol par endroits. Cette partie du domaine était dénommée « la Breure[1] » et servait de pâture aux brebis quasi toute l’année. Les brebis étaient gardées par ma sœur Catherine qui avait dix ans, et je l’accompagnais très souvent. Aussi, la

  1. Terme bourbonnais s’appliquant à la plupart des terrains incultes, et qui n’est qu’une déformation locale du mot « bruyère ».