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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/221

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Elle prit le paquet sous son bras gauche et enlaça du droit l’un des bras de son frère ; Victoire se suspendit à l’autre ; je marchai à côté d’elle. Ce fut dans cet ordre que l’on traversa la cour, que l’on gagna le chemin de Bourbon qui était depuis plusieurs années transformé en route. Pas un mot ne fut échangé.

Le soleil brillait, pâlot comme un soleil d’hiver ; un vent d’ouest assez fort soufflait, faisant se replier la feuillée des chênes et se tordre dans le haut les grands peupliers : il avait plu les jours précédents et ce n’était pas encore le vrai beau temps. À Baluftière et plus loin, aux abords de deux ou trois autres fermes, des lessives séchaient, tachant de blanc les haies vertes que l’éloignement rendait sombres. On voyait dans nombre de champs des bovins en train de paître ; un merle siffla ; une caille fit entendre son cri quatre fois de suite.

Après que nous eûmes fait une centaine de mètres sur la route, et comme nous arrivions à un tournant :

— Allons, laissons-le ! dis-je brusquement, comme pour un ordre appelant l’obéissance immédiate.

On s’arrêta, et les deux femmes laissèrent éclater tout leur chagrin. L’une après l’autre, comme des amantes passionnées, elles étreignirent le partant.

— Oh ! mon garçon, mon pauvre garçon, ils vont donc t’amener, les scélérats ! Je ne te reverrai plus, plus jamais…

— Jean, mon Jean, dis, mon frère, tu nous donneras de tes nouvelles. Ah ! pourquoi faut-il que nous ne sachions pas écrire ! Surtout ne te fais pas tuer, dis, mon Jean !…

Lui, amolli tout à fait, pleurait à chaudes larmes aussi ; et je sentais venir la minute où j’allais en faire autant. Je repoussai ma femme et ma fille ; j’embrassai le Jean à mon tour.