Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/224

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dans les champs s’employer à des travaux d’hommes.

À la guerre, les choses allaient de mal en pis. On disait que les grands chefs étaient tous vendus aux Prussiens et que l’un d’eux, nommé Bazaine, avait été assez crapule pour leur livrer une armée entière. Et ils s’avançaient toujours, les Prussiens ; ils assiégeaient Paris ; il se répandaient dans les départements. Le journal de Roubaud les annonça successivement en Bourgogne, en Nivernais, en Berry : partout ils semaient la désolation sur leur passage, pillaient les maisons, violentaient les femmes, mettaient le feu à tout propos. On commençait d’être très effrayé, d’autant plus que des bruits alarmants couraient, faisant croire à leur présence toute proche : ils étaient à Moulins, à Souvigny, au Veurdre. Pour fausses qu’elles fussent, ces nouvelles n’en contribuaient pas moins à redoubler l’anxiété dans laquelle on vivait. Les idées les plus folles germaient dans les cervelles ; des gens portaient dans les fossés ravineux, les chênes creux, tout ce qu’ils avaient de précieux ; un vieillard maniaque dissimula son argent sous des tas de fumier, dans un de ses champs ; un autre proposait de conduire en Auvergne, pour les cacher sous un pont, toutes les jeunes filles du pays.

Dans certaines communes, on organisait des gardes nationales pour tenter d’opposer une résistance aux Prussiens au cas où ils se présenteraient. À Franchesse, on ne connut pas ça. Mais à Bourbon le docteur Fauconnet forma une garde des plus sérieuses. Il réunit un stock de vieux fusils et convoqua deux fois chaque semaine, pour faire l’exercice, tous les hommes valides de dix-huit à soixante ans. Un vieux rat-de-cave, qui avait été sergent pendant son congé, eut le commandement de la milice avec le titre de capitaine ; on lui adjoignit comme lieutenants deux ex-caporaux ; les anciens soldats furent chefs de sections ou chefs d’escouades.