Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/227

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le sang des morts et des blessés qui le teignait ainsi. La terreur allait croissant ; on parlait de la fin du monde comme d’une chose très probable. D’ailleurs, chaque dimanche, le curé avivait ces idées de vengeance divine et d’horribles calamités ; il avait l’air content du malheur universel, cet homme ; il écrasait ses auditeurs en leur montrant l’énormité de leurs vices qui causaient d’aussi épouvantables fléaux ; il se félicitait de ce que les femmes avaient le visage angoissé et de ce qu’elles avaient abandonné leurs trop belles toilettes des dernières années.

— Votre orgueil a baissé, disait-il, mais il baissera encore plus ; votre humiliation deviendra pire !…

Les femmes pleuraient et les hommes baissaient la tête, tristement.

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De loin en loin nous arrivait quelque lettre de Jean ou de Charles. L’aîné, sous le soleil d’Afrique, continuait de n’être pas malheureux. Mais Charles, qui était à l’armée de la Loire avec Bourbaki, souffrait beaucoup du froid et souvent de la faim. Il se disait mal vêtu et, pour faire des étapes bien longues dans la neige, chaussé de souliers à semelles de carton. Dans la Côte-d’Or, il assista à un combat, vit de près les Prussiens. Puis il s’en alla dans les montagnes du Jura où l’hiver était encore plus rigoureux que chez nous.

Quand le facteur apportait une lettre, Victoire et Clémentine couraient vite chez Roubaud pour la faire lire. Mais le régisseur avait souvent bien de la peine à la déchiffrer, car il était peu expert, — surtout pour la lecture des manuscrits, — et c’était la plupart du temps sur une feuille de papier froissée et maculée qu’un camarade obligeant avait griffonné pour le Charles quelques lignes au crayon qui marquaient à peine. Chacune de ces lettres portait la marque des