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pendant que nous étions aux champs, les femmes eurent la visite de Mlles Yvonne et Valentine Noris.

— Victoire, dirent-elles, votre jeune fils a manqué la messe hier.

— Il est allé à Bourbon, mesdemoiselles, il a dû y assister là-bas.

— Nous n’en croyons rien… Charles doit venir chaque dimanche à la messe à Saint-Aubin comme vous tous ; il ira se promener ensuite à Bourbon ou ailleurs, s’il le juge à propos ; mais la messe d’abord. Dites-lui bien qu’il ne saurait se soustraire à ce devoir dont nous faisons un ordre sans que la chose nous soit connue, car notre contrôle est établi de façon sérieuse. Et s’il persistait à désobéir, vous en souffririez tous…

Il fut forcé de s’exécuter, parbleu ! Il dut même, comme moi, aller à confesse au temps de Pâques. C’était l’unique moyen d’être tranquille ; car ces demoiselles avaient dit vrai : rien ne leur échappait ; je crois qu’elles nous faisaient épier par leur garde et leurs domestiques.

Mais cela n’était pas tout : les blasphèmes nous étaient sévèrement interdits. Or, Charles, au régiment, avait pris l’habitude de blasphémer. Dès que quelque chose ne lui allait pas, il lâchait un « Bon Dieu » ou un « Tonnerre de Dieu » agrémenté de préambules divers. Je l’avais bien engagé à perdre cette habitude ou, tout au moins, à se retenir en présence des mouchards. Mais cela lui était difficile et, un jour, il s’échappa à lâcher un gros juron que le garde entendit. Les deux vieilles filles rappliquèrent sans tarder.

— Victoire, votre fils continue de mal parler, de blasphémer ; nous ne voulons pas de ça chez nous.

Elles allèrent jusqu’à me reprocher à moi-même de dire aussi de vilains mots pour m’avoir entendu employer dans une affirmation l’expression « Tonnerre