Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/277

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— C’est mauvais, ces fruits-là ! N’en mange pas trop, petite…

Je trouvais un peu niaises ces façons de faire. À la campagne, si l’on se parlait comme ça entre époux, tout le monde en rirait. Au fond, on s’aime bien autant qu’eux, mais on ne se prodigue jamais de mots tendres.

De temps en temps, quand Victoire venait pour le service, Georges et Berthe se fâchaient encore doucement de ce qu’elle avait préparé deux dîners et lui défendaient de recommencer à l’avenir, attendu que ça leur était bien égal de manger un peu plus tard. Charles avait apporté de Bourbon, sur l’ordre de sa mère, une couronne de pain blanc, car notre pain de ménage qui datait de huit jours était déjà dur : ils eurent néanmoins la fantaisie d’en user.

— Nous voulons devenir tout à fait campagnards, mon oncle, disaient-ils.

Et, sans relâche, ils me questionnaient sur tout, me demandaient combien nous avions de moutons, combien de vaches et comment on faisait pour traire.

— J’irai voir toutes les bêtes demain, fit Berthe. Voyons, vous vous levez de bon matin, à six heures ?

— Oh ! ma nièce, à six heures il y a déjà deux heures que nous travaillons.

— Vous vous levez à quatre heures !… Ah ! par exemple !… Eh bien, nous, mon oncle, nous sommes des paresseux ; Georges entre à neuf heures à son bureau ; nous nous levons à huit, jamais avant. Mais ici nous allons nous lever de grand matin.

Quand le repas fut terminé, il nous fallut retourner à la cuisine, car il n’y avait pas de porte communiquant directement avec l’extérieur. Les autres mangeaient. Après qu’ils eurent avalé la soupe, ils émiettèrent selon la coutume du pain dans les grandes as-