Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/306

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Je pris le train un jour et me rendis à Saint-Menoux où était revenu mon parrain qui avait quatre-vingt-un ans. Un chancre lui rongeait la figure. Cela avait commencé par une démangeaison à laquelle il n’avait guère pris garde ; ensuite un cercle s’était formé à la naissance du cartilage gauche du nez ; puis un trou s’était creusé peu à peu qui allait toujours s’élargissant, lui faisant un masque de hideur. Le jour où je lui fis cette visite, il retira le linge et l’étoupe qui cachaient la plaie, et elle m’apparut, cette plaie, toute sanguinolente et repoussante, horrible ; son nez n’était plus qu’un étal de chair vive d’où dégoulinait de l’eau rousse, et l’œil allait être pris…

Le pauvre vieux souffrait, souffrait sans répit ; il n’avait plus une heure de calme ; il passait de longues nuits sans sommeil. Et il souffrait au moral aussi, car il se sentait pour tous un objet de dégoût. On lui avait fait comprendre qu’il ne devait plus se mettre à table ; on lui trempait sa soupe dans une écuelle spéciale qui restait des semaines entières sans être lavée ; on ne permettait plus à ses petits-enfants de l’approcher ; la servante avait refusé de savonner les linges ayant servi à lui envelopper la figure ; et il avait entendu sa bru dire, un jour qu’elle se mettait à ce travail rebuté :

— Mais il ne crèvera donc jamais, ce vieux dégoûtant !

— Oh ! me dit-il après m’avoir raconté tout cela, que j’ai souvent le désir de me tuer ! Je songe à me pendre à un arbre, à une poutre de la grange, ou bien à me jeter à l’eau. Jusqu’ici, j’ai eu le courage de repousser cette idée, mais je ne dis pas qu’il en sera toujours ainsi ; la résignation a ses limites, misère de Dieu !… Et ça peut durer encore longtemps comme ça : j’ai l’estomac solide, je mange bien…

J’aurais voulu m’efforcer de le remonter, mais je ne