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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/45

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sus de la porte. Au bas de la place, la maison d’angle de la rue pavée servait à la fois d’épicerie et d’auberge : des pains de savon s’apercevaient derrière les vitres de l’imposte ; une branche de genévrier se balançait au mur.

Comme l’église, toutes ces habitations restaient closes ; elles contenaient sans doute des foyers flambants, des poêles chauds auprès desquels les gens pouvaient se rire de l’hostilité du dehors. L’hostilité du dehors, j’étais tout seul à en souffrir avec mes trois cochons.

La grille qui clôturait le jardin du château s’ouvrit et livra passage à deux prêtres, lesquels s’inclinèrent profondément devant une dame encapuchonnée qui les avait accompagnés jusque-là. Ils passèrent tout à côté de moi, me jetèrent même un regard indifférent, et pénétrèrent dans la grande maison tapissée de reptiles noirs qui, je le compris, devait être la leur.

Un moment après, ce fut la porte d’une des chaumières qui cria sur ses gonds. Une grande femme ébouriffée parut dans l’embrasure et jeta dans son jardinet l’eau d’une casserole. En dépit des observations de cette femme, un gamin, de mon âge à peu près, profita de cet instant pour s’esquiver : il se dirigea vers le bassin de la place où il se mit à patiner. Après cinq ou six glissades, il alla cogner à la porte du cordonnier en criant par trois fois le nom d’André. Un autre gamin plus petit finit par apparaître, et tous les deux glissèrent un long moment de compagnie, tantôt debout et se suivant, tantôt accroupis et se tenant par la main. Mais la grande femme ébouriffée, ayant de nouveau ouvert sa porte, leur enjoignit de rentrer, et cela d’un ton sévère qui les détermina à obéir sans retard. Je fus de nouveau seul sur la place.

De loin en loin, quelques cultivateurs passaient ; ils s’en allaient marchant vite, ayant hâte de regagner leur