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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/56

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est-il que je fus indisposé à la cérémonie du soir.

J’ai pu me convaincre, depuis, qu’il est de règle dans la vie qu’au plaisir succède l’ennui… L’ennui est la rançon de la joie.


VII


J’eus l’occasion de faire encore un festin peu de temps après : mes deux frères se marièrent au mois de novembre de cette même année.

Mon frère Baptiste, l’aîné, qui était mon parrain, touchait à ses vingt-cinq ans. Le Louis en avait vingt-deux. Pour les sauver du service, mon père les avait assurés à un marchand d’hommes avant le tirage au sort.

Le service militaire, qui avait alors une durée de huit ans, semblait une calamité sans nom. Ma mère disait souvent, en parlant de mes frères, qu’elle préférerait les voir mourir que partir soldats. Cette crainte exagérée s’expliquait par plusieurs raisons. D’abord, le nombre des appelés était restreint ; et, parmi ces victimes du hasard, tous ceux qui n’étaient pas sans ressources se faisaient remplacer. Puis les partants n’avaient pas la perspective de venir en permission chaque année. Ils gagnaient à pied leur garnison lointaine et ne reparaissaient généralement qu’à l’expiration de leur congé. (Les chemins de fer n’existant pas encore, les voyages étaient très coûteux et possibles seulement aux riches.) Enfin, tout le monde restant sédentaire, on n’avait pas la moindre notion de l’extérieur. Hors de la commune et du canton, au-delà des distances connues, c’étaient des pays mystérieux qu’on s’imaginait dangereux et peuplés