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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/61

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charbon, s’étaient fait des moustaches et des rayures par tout le visage. Cinquante bouches poussèrent le même cri : — Les masques !… Les masques !…

C’était la coutume de cette époque : à tous les dîners de noce, les jeunes gens du voisinage se présentaient ainsi déguisés, sous le prétexte d’amuser les invités.

Ils continuaient à faire les fous, embrassant les filles qu’ils blanchissaient de farine et noircissaient de charbon. On leur offrit du vin et de la brioche. Ils burent et mangèrent, puis se mirent à danser dans l’étroit espace libre : ils dansaient avec des entrechats formidables qui soulevaient leurs jupes, et ils poussaient des hurlements de bêtes.

Mais les convives commençaient de s’ennuyer à table ; les faits et gestes des masques leur donnaient envie de prendre de l’exercice, de se dégourdir les jambes. Tout le monde se leva ; mon père alluma la lanterne et, au travers de la cour boueuse, on le suivit jusqu’à la grange, sur l’aire de laquelle un bal s’organisa. Dans un coin, avec des bottes de paille, une estrade rudimentaire fut édifiée sur laquelle prirent place le vieux maigre avec sa vielle et le joufflu au nez cassé avec sa musette. La lanterne fut accrochée au milieu, très haut, à un bâton piqué d’un côté dans le foin du fenil et de l’autre dans un tas de blé non battu. Elle donnait une faible clarté blafarde et, dans la demi-obscurité, les danseurs avaient l’air de spectres. Mais cela leur importait peu : masques et convives tournaient à qui mieux mieux ou bien s’agitaient en cadence dans les multiples figures de la bourrée. Adossés au tas de gerbes, les vieux regardaient en causant et parfois même faisaient la leur. Nous, les gamins, nous courions au travers des danseurs, nous poursuivant et nous chamaillant. À un moment où nous étions sages, mon parrain et sa femme nous taquinèrent.