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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/82

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XI


J’avais dix-neuf ans quand il me fallut quitter cette ferme du Garibier où s’était écoulée ma jeunesse.

Ce fut à la suite d’une scène violente avec mes parents que M. Fauconnet leur donna congé. Mon père proposait de vendre une des truies avec ses petits, parce qu’il n’y avait guère de nourriture cette année-là. Mais le maître déclara qu’il valait mieux garder la mère et laisser grossir les petits.

— Nous achèterons du son, fit-il.

Ce mot mit le feu aux poudres, car on avait cru s’apercevoir qu’au règlement de la dernière Saint-Martin, il avait compté beaucoup plus de son qu’il n’y en avait eu d’acheté en réalité. De plus, on avait trouvé absolument dérisoire le prix des deux bœufs gras qu’il avait vendus en dehors de la présence de mon père. À différentes reprises ma mère avait juré qu’il n’emporterait pas cela en terre. Elle profita donc de ce qu’il parlait de son pour lui dire qu’il n’aurait pas à porter aux dépenses celui qu’il se proposait d’acheter, attendu qu’il était payé depuis l’année dernière. Là-dessus, Fauconnet lui ayant demandé de s’expliquer, elle reprit carrément qu’il en avait compté au moins mille livres de trop.

— Dites tout de suite que vous me prenez pour un voleur ! fit-il, selon sa coutume.

Mon père sortit de sa passivité ordinaire :

— Eh bien ! oui, là, vous êtes un voleur !

Il lui parla des bœufs gras et rappela plusieurs