Page:Guimet - Promenades japonaises, 1880.djvu/132

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— Dort-il ?

— Pas encore…

— Tu mens.

— Ô ma mère, vous voulez donc le tuer ?

— Oui !

— Eh bien ! alors je vais le réveiller.

— Malheureuse !

La vieille fit un geste terrible.

La pauvre enfant s’affaissa le front sur la natte et ne releva la tête qu’en entendant sa mère qui cherchait dans un coin de la cuisine la seconde pierre qui devait tuer l’étranger.

La jeune fille s’éclipsa rapidement et la vieille put tout à son aise écraser selon son habitude la tête de la nouvelle victime que le sort lui avait livrée.

Le crime accompli, la femme se met en devoir de dépouiller le voyageur.

La pâle lanterne qui l’éclairé lui donne de singulières hallucinations, que dis-je ? lui dévoile d’effrayantes vérités.

Ce n’est pas un homme qui est étendu là, c’est une femme, c’est sa fille ! Oui, c’est bien sa fille qui est venue sauver l’inconnu, c’est sa fille qu’elle a tuée de ses propres mains !

Et l’étranger ?

Dans le jardin, la lueur de l’aube naissante montre sur le sol humide des bords de l’étang les traces de pieds humains et de sabots de cheval.

Le jeune homme a traversé la mare et s’est enfui.

Les grands criminels ont d’étranges retours sur eux-mêmes. Leur sensibilité émoussée devient tout d’un coup aiguë comme un poignard, parce que le malheur s’attaque à leurs intérêts et à leur propre cœur.

L’infâme vieille fut terrassée ; elle sentit au-dessus d’elle le poids