Aller au contenu

Page:Guimet - Promenades japonaises, 1880.djvu/148

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sainte et aristocratique de Kioto était devenue le lieu de rendez-vous des beaux esprits et des savants, des élégants et des artistes.

Les grands seigneurs, n’ayant rien à faire, ne pouvaient trouver le temps de mener à bien leurs occupations multiples ; la poésie, la musique, la peinture, l’art de bien dire, l’art de s’habiller, l’art de faire des bouquets, l’art de saluer, l’art de boire le thé et bien d’autres aussi nécessaires absorbaient leurs moindres instants et peu à peu un nombreux personnel de professeurs, de peintres, de secrétaires devenait indispensable.

C’est ainsi que Sonoïké, personnage important de la cour, avait pris, pour l’aider dans ses travaux, le jeune Korétoki, natif d’Yeddo, et qui était venu dans la capitale pour prendre les belles manières et devenir savant.

Or Sonoïké avait une fille qui faisait son désespoir. Non pas que la pauvre enfant fût laide, ni méchante, ni bête, ni disgracieuse… Elle était, au contraire, d’une beauté accomplie, d’une rare intelligence, d’un caractère charmant ; mais, depuis quelque temps, la plus noire mélancolie envahissait son âme.

En vain avait-on construit pour elle dans le jardin des pavillons de laque ornés de peintures exquises. En vain lui avait-on donné des suivantes aimables, pleines de talents de toutes espèces, sachant broder, chanter, réciter, jouer des instruments de musique, faire courir un pinceau sur la feuille de papier mouchetée d’or, jouer à ces mille jeux qui font la joie des Japonaises. La malheureuse Mmégaé promenait ses dix-huit ans au milieu de ces splendeurs et de ces plaisirs sans pouvoir dérider son jeune front déjà contracté par le chagrin.

À bout d’expédients, Sonoïké eut l’idée, un beau soir, d’amener chez sa fille le nouveau secrétaire qu’il avait engagé, le jeune Korétoki. Ce garçon avait une jolie voix et un grand talent de chanteur ; il savait