Le sombre azur commence à s’étoiler ; la lune énorme, sanglante, émerge de l’océan ; la statue s’éclaire et Chémanitou lui aperçoit sur le front une chauve-souris qui déploie ses ailes de peau brune. En un tour de main, il la saisit, lui retire le don de la vie, lui enlève les ailes et la peau. Des premières, il fait au monstre des oreilles ; de la seconde, il lui couvre le front ; puis attentivement regarde, cherchant encore ce qu’il pourrait bien ajouter à cette horrible tête.
Voici : il ne lui coupera pas la figure comme aux bêtes, juste au-dessous de la bouche : il lui fait donc un menton et lui sculpte des lèvres pleines, arrondies, afin qu’elles se ferment sur la langue fourchue et les dents d’ivoire… Cet être pourra sourire. « Un menton appelle des mains », se dit maintenant l’Esprit créateur, et il devient pensif : jamais il n’a doué aucune créature de ces puissants organes. Il fait cependant des mains et des bras sur le modèle des siens, et donc très beaux.
Finie enfin l’œuvre qui a coûté tant de pénible réflexion. Chémanitou la contemple, mais sans s’y complaire : il n’en augure rien de bon… Cet être, une fois vivant, ne se mettrait-il pas à créer à l’instar du Maître de la vie lui-même et n’entraverait-il pas son œuvre ? La vision qu’il a de l’avenir ne lui permet pas d’en douter. Curieux tout de même d’examiner les