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Page:Guindon - En Mocassins, 1920.djvu/244

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cogomis

modèrent leur danse au pied d’un très haut rocher. Mais ici, le vent se dédommage de l’obstacle rencontré là, et lance l’eau par-dessus la pince d’avant.

À force de rame, on entre dans l’ombre des flancs coupés à pic, aux anfractuosités sonores.

On accoste, on fait mine de vouloir camper comme d’habitude au pied de l’abat-vent gigantesque. On débarque la pauvre vieille qui est aveugle ; mais aussitôt, silencieusement, on démarre et rame dru vers le bas du fleuve.

Vite, vite aussi, Awatanit essaie de ramer, mais sa pagaie autour de laquelle ses poignets énervées se tordent, touche à peine l’eau furieuse. Il a comme des soubresauts de terreur ; une sueur froide reluit sur son front. Comme s’il avait froid, il tremble ; et, les yeux égarés, murmure entre ses dents claquantes : « Voici que nous sommes des fils maudits ».

Impénétrables, d’une indifférence brutale, ses frères rament ferme. Ils regardent, comme distraits, Sésibahoura les vagues qui se poursuivent, Awessénipin, les corneilles qui passent. Mais les chiens hurlent et fixent de leurs yeux angoissés, le solitaire rivage où est restée leur vieille amie.

Déjà le soleil est tombé derrière les forêts mornes, l’ombre des montagnes a traversé le fleuve ; mais la cime du haut rocher rougeoie encore des reflets du couchant.