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RAGE ET IMPUISSANCE[1].

conte malsain
pour les nerfs sensibles et les âmes dévotes
Dieu n’est qu’un mot rêvé pour expliquer le monde.
Alp. de Lamartine.

Tout dormait calme et paisible dans le village de Mussen. De toutes les lumières qui avaient disparu lentement et les unes après les autres, une seule brillait encore aux vitres de ce bon monsieur Ohmlin, le médecin du pays.

Minuit venait de sonner à la petite église, la pluie tombait par torrents, et la neige, sortie des flancs du mont Pilate, tourbillonnait dans l’air emportée par les rafales de l’avalanche, la grêle résonnait sur les toits.

Cette lumière isolée éclairait une chambre basse, où était assise une femme d’environ soixante et quelques années. Elle était voûtée et couverte de rides, elle cousait, mais la fatigue souvent, surmontant son courage, lui faisait fermer les yeux et pencher la tête ; puis, si quelque coup de vent plus furieux et plus bruyant que tous les autres venait à faire craquer les auvents, si la pluie redoublait de violence, alors elle se réveillait de son assoupissement, tournait ses petits yeux creux sur la chandelle, dont la longue flammèche jetait encore quelque lueur autour d’elle, frissonnait, rapprochait son fauteuil de la cheminée, puis faisait un signe de croix.


  1. 15 décembre 1836.