Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/170

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gemment et qui allait tomber sur un vieux tableau, sur une statue de jardin ou sur les fauteuils dépaillés. Il reprenait sa course lente et paisible au milieu du corridor et faisait retentir du bruit de ses souliers ferrés les larges dalles de pierre, qui en gardaient l’empreinte ; puis il revenait sur ses pas, regardant les nids d’hirondelles, s’établissant de jour en jour dans le château, comme dans leur domaine, et qui volaient et repassaient par les fenêtres du corridor dont toutes les vitres étaient étendues par terre, cassées et pêle-mêle, avec leurs encadrements en lames de plomb.

De grands peupliers bordaient le château ; ils se courbaient souvent au souffle de l’océan, dont le bruit des vagues se mêlait à celui de leurs feuilles, et dont l’air âpre et dur avait brûlé l’écorce. Une percée pratiquée dans le feuillage laissait voir, des plus hautes fenêtres, la mer qui s’étendait immense et terrible, devant ce château sinistre qui n’en semblait qu’un lugubre apanage.

Là, c’était le pont-levis, maintenant on y passe sur une terrasse ; ici les créneaux, mais ils tremblent sous la main, et au moindre choc les pierres tombent ; plus haut, le donjon, jamais le concierge n’y alla, car il l’avait abandonné, ainsi que les étages supérieurs, aux chauves-souris et aux hiboux qui voltigeaient le soir sur les toits, avec leurs cris lugubres et leurs longs battements d’ailes.

Les murs du château étaient lézardés et couverts de mousse, il y avait à leur contact quelque chose d’humide et de gras, qui pressait sur la poitrine et qui faisait frissonner ; on eût dit la trace gluante d’un reptile.

C’était là qu’il vivait. Il aimait les longues voûtes prolongées, où l’on n’entendait que les oiseaux de nuit et le vent de la mer ; il aimait ces débris soutenus par le lierre, ces sombres corridors et toute cette apparence de mort et de ruine ; lui, qui était tombé de