Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/194

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de ne point se tuer de désespoir ; mais elle croyait à Dieu et elle ne se tua pas.

Il est vrai que souvent elle contemplait la mer et la falaise, haute de cent pieds, et puis qu’elle se mettait à sourire tout bas, avec une grimace des lèvres qui faisait peur aux enfants ; bien folle de s’arrêter devant une idée de croire à Dieu, de le respecter, de souffrir pour son plaisir, de pleurer pour ses délices. Croire à Dieu, Julietta, c’est être heureuse ; tu crois à Dieu, et tu souffres ! Oh ! tu es bien folle en effet ! Voilà ce que te diront les hommes.

Mais non, au désespoir avait succédé l’abattement, aux cris furieux les larmes ; plus d’éclairs de voix, de profonds soupirs, mais des sons dits tout bas et retenus sur les lèvres, de peur de mourir en les criant.

Ses cheveux étaient blancs, car le malheur vieillit ; il est comme le temps, il court vite, il pèse lourd et il frappe fort ; mais, plus encore, il faut moins de larmes au désespoir pour amaigrir un homme que de gouttes d’eau à la tempête pour creuser la pierre d’une tombe ; les cheveux se blanchissent en une nuit.

Ses cheveux étaient blancs, ses habits déchirés, mais ses pieds s’étaient durcis à marcher sur la terre, à s’écorcher aux ronces et aux chardons ; ses mains étaient crevassées par le froid et par l’air âpre de l’océan, qui dessèche et qui brûle comme les gelées du Nord ; et puis elle était pâle, amaigrie, avait les yeux creux et ternes, que vivifiait encore un rayon d’amour, qu’éclairait une étincelle d’enfer ; sa bouche était entr’ouverte et comme contractée par un mouvement des lèvres involontaire et convulsif. Mais elle avait toujours le teint doré et brûlé du soleil, elle avait toujours ce regard étrange qui séduit et qui attire, c’était toujours cette âme sublime et passionnée, que Satan avait choisie pour tenter la matière endormie, le corps dénué de sens, la chair sans volupté.

Quand elle voyait un homme, elle courait vers lui,