Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/207

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fite de l’amour d’une femme comme d’un habit dont on se couvre pendant quelque temps et puis qui se jette avec toute la friperie des vieux sentiments qui sont passés de mode.

En effet, vous répondra-t-il, qu’est-ce que l’amour ? une sottise, j’en profite ; et la tendresse ? une niaiserie, disent les géomètres, or je n’en ai point ; et la poésie ? qu’est-ce que ça prouve ? aussi je m’en garde ; et la religion ? la patrie ? l’art ? fariboles et fadaises. Pour l’âme, il y a longtemps que Cabanis et Bichat nous ont prouvé que les veines donnent au cœur, et voilà tout.

Voilà l’homme sensé, celui qu’on respecte et qu’on honore ; car il monte sa garde nationale, s’habille comme tout le monde, parle morale et philanthropie, vote pour les chemins de fer et l’abolition des maisons de jeu.

Il a un château, une femme, un fils qui sera notaire, une fille qui se mariera à un chimiste. Si vous le rencontrez à l’Opéra, il a des lunettes d’or, un habit noir, une canne, et prend des pastilles de menthe pour chasser l’odeur du cigare, car la pipe lui fait horreur, cela est si mauvais ton !

Paul n’avait point encore de femme, mais il allait en prendre une, sans amour, et par la raison que ce mariage-là doublerait sa fortune, et il n’avait eu besoin que de faire une simple addition pour voir qu’il serait riche alors de cinquante mille livres de rente ; au collège il était fort en mathématiques. Quant à la littérature, il avait toujours trouvé ça bête.

La promenade dura longtemps, silencieuse et toute contemplative de la belle nuit bleue qui enveloppait les arbres, le bosquet, l’étang, dans un brouillard d’azur que perçaient les rayons de la lune, comme si l’atmosphère eût été couverte d’un voile de gaze.

On ne rentra dans le salon que vers onze heures, les bougies pétillaient et quelques roses, tombées de la