Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/209

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rouges et blanches du château. Elle était en négligé, ou du moins vous l’auriez présumé d’après l’abandon de ses cheveux, le laisser-aller de sa pose et l’entre-bâillement de sa chemise garnie de mousseline, décolletée jusqu’aux épaules, et dont les manches ne venaient que jusqu’aux coudes. Son bras était blanc et rond, charnu, mais par malheur il s’égratigna quelque peu contre la muraille, en ouvrant précipitamment la fenêtre pour voir partir Paul ; elle lui fit un signe de main et lui envoya un baiser. Paul se détourna et, après avoir regardé longtemps cette tête d’enfant fraîche et pure, au milieu des fleurs, après avoir réfléchi que tout cela serait bientôt à lui, et les fleurs, et la jeune fille, et l’amour qu’il y avait dans tout cela, il dit : « Elle est gentille ! » Alors une main blanche ferma l’auvent, l’horloge sonna 4 heures, le coq se mit à chanter, et un rayon de soleil passant à travers la charmille vint darder sur les ardoises du toit. Tout redevint silencieux et calme.

À 10 heures, M. Paul n’était pas de retour, on sonna le déjeuner et l’on se mit à table. La salle était haute et spacieuse, meublée à la Louis XV ; sur les dessus de la cheminée, on voyait, à demi effacée par la poussière, une scène pastorale : c’était une bergère bien poudrée, couverte de mouches, avec des paniers, au milieu de ses blancs moutons ; l’Amour volait au-dessus d’elle, et un joli carlin était étendu à ses pieds, assis sur un tapis brodé où l’on voyait un bouquet de roses lié par un fil d’or. Aux corniches étaient suspendus des œufs de pigeon enfilés les uns aux autres et peints en blanc avec des taches vertes.

Les lambris étaient d’un blanc pâle et terni, décoré çà et là de quelques portraits de famille, et puis des paysages coloriés, représentant des vues de Norvège ou de Russie, ou bien des montagnes de neige, des moissons, des vendanges, plus loin des gravures encadrées en noir. Ici c’est le portrait en pied de quelque