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ŒUVRES DE JEUNESSE.

Et deux larmes roulèrent dans ses yeux et vinrent tomber chaudes et brillantes sur la joue du duc. Oh ! qu’il y avait d’amour et de passion dans ces deux gouttes d’eau !

— Sais-tu, duc d’Armagnac, sais-tu ? Oh ! le Parlement ! j’en tirerai vengeance !

— Qu’est-il arrivé ?

— Sais-tu ce que c’est que l’envie ? L’envie, c’est quelque chose qui est là bouillonnant et rude ; c’est un serpent qui vous dévore, qui est là dans votre lit, dans vos rêves, qui vous poursuit comme un remords ; c’est comme une goutte de poison qui mange et qui tache le marbre le plus poli.

— Et pourquoi ?

— Le président va m’accuser, va me citer en justice, va me dire à la face, oui à moi, Isabeau, reine de France, il vient de me dire, l’insensé ! que c’était moi qui étais la cause de la folie du roi, des troubles qui ravageaient la France. Et ils m’ont ôté la régence, qu’ils ont donnée à Jean sans Peur, qui se promène maintenant en vainqueur dans les rues de Paris, qui se pavane au Louvre, qui monte même sur les degrés du trône et qui, écartant un fou et une femme, s’y place et s’y étale à son aise. Mais si ce fou est un idiot, la reine écartée ne tombera pas. Oh ! elle le chassera, cette reine ! Elle le fera pendre à Montfaucon, elle lui fera trancher la tête devant la porte du Louvre et fera arroser les plantes de son parterre du sang de ce Bourguignon. Oh ! duc d’Orléans ! je ne me contiens plus de colère ! Quelque chose que je le broie, que je le déchire ; je me meurs de soif ! C’est du vin qu’il me faut, mais du rouge, duc d’Orléans !

— Isabeau, soit ! oui, le Bourguignon mourra, je vous le jure.

— Oui, il mourra, et quand la reine se sera repue de la vue de son cadavre, quand elle aura compté toutes ses blessures, quand elle aura sondé toutes ses plaies,