Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pereurs, qui boira la dernière goutte d’eau de l’océan, et qui humera la dernière vapeur du sang.

Il pourra, tout le jour, toute la nuit, pendant tous les siècles, errer au gré de son caprice, franchir d’un bond depuis l’Atlas jusqu’à l’Himalaya, courir, dans son orgueilleuse paresse, depuis le ciel jusqu’à la terre, s’amuser à troubler la poussière des empires écroulés, courir dans les plaines de l’océan desséché, bondir sur la cendre des grandes villes, humer le néant à pleine poitrine, s’y étaler et y bondir à l’aise.

Et puis, lassé peut-être comme moi, cherchant un précipice où te jeter, tu viendras, haletant, t’abattre au bout de ta course devant l’océan de l’infini ; et là, l’écume à la bouche, le cou tendu, les naseaux vers l’horizon, tu imploreras comme moi un sommeil éternel où tes pieds en feu puissent se reposer, un lit de feuilles vertes où tes paupières calcinées puissent se clore, et attendant, immobile sur le rivage aride de l’existence, tu demanderas quelque chose de plus fort que toi pour te broyer d’un seul coup ; tu demanderas d’aller rejoindre la tempête apaisée, la fleur fanée, le cadavre pourri ; tu demanderas le sommeil, car l’éternité est un supplice et le néant se dévore.

Oh ! pourquoi sommes-nous venus ici ? quelle tempête nous a jetés dans l’abîme ? quelle tempête nous rapportera vers les mondes inconnus d’où nous venons ?

Mais avant, ô mon bon coursier, tu peux courir encore, tu peux flatter ton oreille du bruit des choses que tu broies ; ta course est longue, du courage ! Longtemps tu m’as portée, un plus long temps se passera, et nous deux nous ne vieillissons pas ; les étoiles pâlissent, les montagnes s’affaissent, la terre s’use sur ses axes de diamant, nous deux seuls nous sommes éternels ; le néant vivra toujours.

Aujourd’hui tu peux te coucher a mes pieds, polir tes dents sur la mousse des tombeaux, car Satan m’or-