Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/500

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tout est fini, adieu ! adieu ! du vin avant de mourir ! Chacun se rue où le pousse son instinct, le monde fourmille comme les insectes sur un cadavre, les poètes passent sans avoir le temps de sculpter leurs pensées, à peine s’ils les jettent sur des feuilles et les feuilles volent ; tout brille et tout retentit dans cette mascarade, sous ses royautés d’un jour et ses sceptres de carton ; l’or roule, le vin ruisselle, la débauche froide lève sa robe et remue… horreur ! horreur !

Et puis, il y a sur tout cela un voile dont chacun prend sa part et se cache le plus qu’il peut.

Dérision ! horreur ! horreur !

VIII

Et il y a des jours où j’ai une lassitude immense, et un sombre ennui m’enveloppe comme un linceul partout où je vais ; ses plis m’embarrassent et me gênent, la vie me pèse comme un remords. Si jeune et si lassé de tout, quand il y en a qui sont vieux et encore pleins d’enthousiasme ! et moi, je suis si tombé, si désenchanté ! Que faire ? La nuit, regarder la lune qui jette sur mes lambris ses clartés tremblantes comme un large feuillage, et, le jour, le soleil dorant les toits voisins ? Est-ce là vivre ? non, c’est la mort, moins le repos du sépulcre.

Et j’ai des petites joies à moi seul, des réminiscences enfantines qui viennent encore me réchauffer dans mon isolement, comme des reflets de soleil couchant par les barreaux d’une prison : un rien, la moindre circonstance, un jour pluvieux, un grand soleil, une fleur, un vieux meuble, me rappellent une série de souvenirs qui passent tous, confus, effacés comme des ombres. Jeux d’enfants sur l’herbe au milieu des marguerites dans les prés, derrière la haie fleurie, le long de la vigne aux grappes dorées, sur la mousse