Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/12

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Les races s’étaient prises d’une lèpre à l’âme, tout s’était fait vil.

On riait, mais ce rire avait de l’angoisse, les hommes étaient faibles et méchants, le monde était fou, il bavait, il écumait, il courait comme un enfant dans les champs, il suait de fatigue, il allait se mourir.

Mais avant de rentrer dans le vide, il voulait vivre bien sa dernière minute ; il fallait finir l’orgie et tomber ensuite ivre, ignoble, désespéré, l’estomac plein, le cœur vide.

Satan n’avait plus qu’à donner un dernier coup, et cette roue du mal qui broyait les hommes depuis la création allait s’arrêter enfin, usée comme sa pâture.

Et voilà qu’une fois on entendit dans les airs comme un cri de triomphe, la bouche rouge de l’enfer semblait s’ouvrir et chanter ses victoires.

Le ciel en tressaillit. La terre demandai-elle un nouveau Messie ? tournait-elle, dans ses agonies, ses dernières espérances vers le Christ ? Non, la voix répéta plusieurs fois : « Michel à moi ! réponds ici ! » Cette voix était triomphante, pleine de colère et de joie.

la voix.

Ton pied me terrassa jadis, et je sentis ton talon me broyer la poitrine, car alors le Christ avait affermi cette terre où tu me foulais, elle était jeune et pure ; maintenant elle est vieille, usée, ton pied y entrerait dans les cendres.

Mon orgueil me dévora le cœur, mais le sang de ce cœur ulcéré je l’ai versé sur la terre, et cette rosée de malédiction a porté ses fruits.

Maintenant, pas une vertu que je n’aie sapée par le doute, pas une croyance que je n’aie terrassée par le rire, pas une idée usée qui ne soit un axiome, pas un fruit qui ne soit amer. La belle œuvre !

Oh ! cette terre, terre d’amour et de bonheur, faite pour la félicité de l’homme, comme je l’ai maniée et