C’est à tout cela que je songeais seul, le soir, quand le vent sifflait dans les corridors, ou dans les récréations, pendant qu’on jouait aux barres ou à la balle, et que je me promenais le long du mur, marchant sur les feuilles tombées des tilleuls pour m’amuser à entendre le bruit de mes pieds qui les soulevaient et les poussaient.
Je fus bientôt pris du désir d’aimer, je souhaitai l’amour avec une convoitise infinie, j’en rêvais les tourments, je m’attendais chaque instant à un déchirement qui m’eût comblé de joie. Plusieurs fois je crus y être, je prenais dans ma pensée la première femme venue qui m’avait semblé belle, et je me disais : « C’est celle-là que j’aime », mais le souvenir que j’aurais voulu en garder s’appâlissait et s’effaçait au lieu de grandir ; je sentais, d’ailleurs, que je me forçais à aimer, que je jouais, vis-à-vis de mon cœur, une comédie qui ne le dupait point, et cette chute me donnait une longue tristesse ; je regrettais presque des amours que je n’avais pas eues, et puis j’en rêvais d’autres dont j’aurais voulu pouvoir me combler l’âme.
C’était surtout le lendemain de bal ou de comédie, à la rentrée d’une vacance de deux ou trois jours, que je rêvais une passion. Je me représentais celle que j’avais choisie, telle que je l’avais vue, en robe blanche, enlevée dans une valse aux bras d’un cavalier qui la soutient et qui lui sourit, ou appuyée sur la rampe de velours d’une loge et montrant tranquillement un profil royal ; le bruit des contredanses, l’éclat des lumières résonnait et m’éblouissait quelques temps encore, puis tout finissait par se fondre dans la monotonie d’une rêverie douloureuse. J’ai eu ainsi mille petits amours, qui ont duré huit jours ou un mois et que j’ai souhaité prolonger des siècles ; je ne sais en quoi je les faisais consister, ni quel était le but où ces vagues désirs convergeaient ; c’était, je crois, le besoin d’un sentiment nouveau et comme une aspiration vers quelque chose d’élevé dont je ne voyais pas le faîte.