des modistes, donnaient rendez-vous à des cuisinières ; les premiers me semblaient sots, les seconds grotesques. Et puis la bonne et la mauvaise société m’ennuyaient également, j’étais cynique avec les dévots et mystique avec les libertins, de sorte que tous ne m’aimaient guère.
À cette époque où j’étais vierge, je prenais plaisir à contempler les prostituées, je passais dans les rues qu’elles habitent, je hantais les lieux où elles se promènent ; quelquefois je leur parlais pour me tenter moi-même, je suivais leurs pas, je les touchais, j’entrais dans l’air qu’elles jettent autour d’elles ; et comme j’avais de l’impudence, je croyais être calme ; je me sentais le cœur vide, mais ce vide-là était un gouffre.
J’aimais à me perdre dans le tourbillon des rues ; souvent je prenais des distractions stupides, comme de regarder fixement chaque passant pour découvrir sur sa figure un vice ou une passion saillante. Toutes ces têtes passaient vite devant moi : les unes souriaient, sifflaient en partant, les cheveux au vent ; d’autres étaient pâles, d’autres rouges, d’autres livides ; elles disparaissaient rapidement à mes côtés, elles glissaient les unes après les autres comme les enseignes lorsqu’on est en voiture. Ou bien je ne regardais seulement que les pieds qui allaient dans tous les sens, et je tâchais de rattacher chaque pied à un corps, un corps à une idée, tous ces mouvements à des buts, et je me demandais où tous ces pas allaient, et pourquoi marchaient tous ces gens. Je regardais les équipages s’enfoncer sous les péristyles sonores et le lourd marchepied se déployer avec fracas ; la foule s’engouffrait à la porte des théâtres, je regardais les lumières briller dans le brouillard et, au-dessus, le ciel tout noir sans étoiles ; au coin d’une rue, un joueur d’orgue jouait, des enfants en guenilles chantaient, un marchant de fruits poussait sa charrette, éclairée d’un falot rouge ; les cafés étaient pleins de bruit, les glaces étincelaient sous le feu des