est resté vide, l’ortie a poussé entre les pierres, les piliers s’écroulent, voilà les hiboux qui y font leur nids. N’usant pas de l’existence, l’existence m’usait, mes rêves me fatiguaient plus que de grands travaux ; une création entière, immobile, irrévélée à elle-même, vivait sourdement sous ma vie ; j’étais un chaos dormant de mille principes féconds qui ne savaient comment se manifester ni que faire d’eux-mêmes, ils cherchaient leurs formes et attendaient leur moule.
J’étais, dans la variété de mon être, comme une immense forêt de l’Inde, où la vie palpite dans chaque atome et apparaît, monstrueuse ou adorable, sous chaque rayon de soleil ; l’azur est rempli de parfums et de poisons, les tigres bondissent, les éléphants marchent fièrement comme des pagodes vivantes, les dieux, mystérieux et difformes, sont cachés dans le creux des cavernes parmi de grands monceaux d’or ; et au milieu, coule le large fleuve, avec des crocodiles béants qui font claquer leurs écailles dans le lotus du rivage, et ses îles de fleurs que le courant entraîne avec des troncs d’arbre et des cadavres verdis par la peste. J’aimais pourtant la vie, mais la vie expansive, radieuse, rayonnante ; je l’aimais dans le galop furieux des coursiers, dans le scintillement des étoiles, dans le mouvement des vagues qui courent vers le rivage ; je l’aimais dans le battement des belles poitrines nues, dans le tremblement des regards amoureux, dans la vibration des cordes du violon, dans le frémissement des chênes, dans le soleil couchant, qui dore les vitres et fait penser aux balcons de Babylone où les reines se tenaient accoudées en regardant l’Asie.
Et au milieu de tout je restais sans mouvement ; entre tant d’actions que je voyais, que j’excitais même, je restais inactif, aussi inerte qu’une statue entourée d’un essaim de mouches qui bourdonnent à ses oreilles et qui courent sur son marbre.
Oh ! comme j’aurais aimé si j’avais aimé, si j’avais pu