Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/193

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la mer était douce, et murmurait plutôt comme un soupir que comme une voix ; le soleil lui-même semblait avoir son bruit, il inondait tout, ses rayons me brûlaient les membres, la terre me renvoyait sa chaleur, j’étais noyé dans sa lumière, je fermais les yeux et je la voyais encore. L’odeur des vagues montait jusqu’à moi, avec la senteur du varech et des plantes marines ; quelquefois elles paraissaient s’arrêter ou venaient mourir sans bruit sur le rivage festonné d’écume, comme une lèvre dont le baiser ne sonne point. Alors, dans le silence de deux vagues, pendant que l’Océan gonflé se taisait, j’écoutais le chant des cailles un instant, puis le bruit des flots recommençait, et après, celui des oiseaux.

Je suis descendu en courant au bord de la mer, à travers les terrains éboulés que je sautais d’un pied sûr, je levais la tête avec orgueil, je respirais fièrement la brise fraîche, qui séchait mes cheveux en sueur ; l’esprit de Dieu me remplissait, je me sentais le cœur grand, j’adorais quelque chose d’un étrange mouvement, j’aurais voulu m’absorber dans la lumière du soleil et me perdre dans cette immensité d’azur, avec l’odeur qui s’élevait de la surface des flots ; et je fus pris alors d’une joie insensée, et je me mis à marcher comme si tout le bonheur des cieux m’était entré dans l’âme. Comme la falaise s’avançait en cet endroit-là, toute la côte disparut et je ne vis plus rien que la mer : les lames montaient sur le galet jusqu’à mes pieds, elles écumaient sur les rochers à fleur d’eau, les battaient en cadence, les enlaçaient comme des bras liquides et des nappes limpides, en retombant illuminées d’une couleur bleue ; le vent soulevait les mousses autour de moi et ridait les flaques d’eau restées dans le creux des pierres, les varechs pleuraient et se berçaient, encore agités du mouvement de la vague qui les avait quittés ; de temps à autre une mouette passait avec de grands battements d’ailes, et