Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/197

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lumière et les parfums. Chaque année encore, pendant quelques heures, je me retrouve ainsi dans une virginité qui me pousse avec les bourgeons ; mais les joies ne refleurissent pas avec les roses, et il n’y a pas maintenant plus de verdure dans mon cœur que sur la grande route, où le hâle fatigue les yeux, où la poussière s’élève en tourbillons.

Cependant, prêt à vous raconter ce qui va suivre, au moment de descendre dans ce souvenir, je tremble et j’hésite ; c’est comme si j’allais revoir une maîtresse d’autrefois : le cœur oppressé, on s’arrête à chaque marche de son escalier, on craint de la retrouver, et on a peur qu’elle soit absente. Il en est de même de certaines idées avec lesquelles on a trop vécu ; on voudrait s’en débarrasser pour toujours, et pourtant elles coulent dans vous comme la vie même, le cœur y respire dans son atmosphère naturelle.

Je vous ai dit que j’aimais le soleil ; dans les jours où il brille, mon âme naguère avait quelque chose de la sérénité des horizons rayonnants et de la hauteur du ciel. C’était donc l’été… ah ! la plume ne devrait pas écrire tout cela… il faisait chaud, je sortis, personne chez moi ne s’aperçut que je sortais ; il y avait peu de monde dans les rues, le pavé était sec, de temps à autre des bouffées chaudes s’exhalaient de dessous terre et vous montaient à la tête, les murs des maisons envoyaient des réflexions embrasées, l’ombre elle-même semblait plus brûlante que la lumière. Au coin des rues, près des tas d’ordures, des essaims de mouches bourdonnaient dans les rayons du soleil, en tournoyant comme une grande roue d’or ; l’angle des toits se détachait vivement en ligne droite sur le bleu du ciel, les pierres étaient noires, il n’y avait pas d’oiseaux autour des clochers.

Je marchais, cherchant du repos, désirant une brise, quelque chose qui pût m’enlever de dessus terre, m’emporter dans un tourbillon.