Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/203

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désir de ma jeunesse et la volupté trouvée de tous mes rêves, et puis je me renversais le cou en arrière, pour mieux voir sa figure ; ses yeux brillaient, m’enflammaient, son regard m’enveloppait plus que ses bras, j’étais perdu dans son oeil, et nos doigts se mêlèrent ensemble ; les siens étaient longs, délicats, ils se tournaient dans ma main avec des mouvements vifs et subtils, j’aurais pu les broyer au moindre effort, je les serrais exprès pour les sentir davantage.

Je ne me souviens plus maintenant de ce qu’elle me dit ni de ce que je lui répondis, je suis resté ainsi longtemps, perdu, suspendu, balancé dans ce battement de mon cœur ; chaque minute augmentait mon ivresse, à chaque moment quelque chose de plus m’entrait dans l’âme, tout mon corps frissonnait d’impatience, de désir, de joie ; j’étais grave, pourtant, plutôt sombre que gai, sérieux, absorbé comme dans quelque chose de divin et de suprême. Avec sa main elle me serrait la tête sur son cœur, mais légèrement, comme si elle eût eu peur de me l’écraser sur elle.

Elle ôta sa manche par un mouvement d’épaules, sa robe se décrocha ; elle n’avait pas de corset, sa chemise bâillait. C’était une de ces gorges splendides où l’on voudrait mourir étouffé dans l’amour. Assise sur mes genoux, elle avait une pose naïve d’enfant qui rêve, son beau profil se découpait en lignes pures ; un pli d’une courbe adorable, sous l’aisselle, faisait comme le sourire de son épaule ; son dos blanc se courbait un peu, d’une manière fatiguée, et sa robe affaissée retombait par le bas en larges plis sur le plancher ; elle levait les yeux au ciel et chantonnait dans ses dents un refrain triste et langoureux.

Je touchai à son peigne, je l’ôtai, ses cheveux déroulèrent comme une onde, et les longues mèches noires tressaillirent en tombant sur ses hanches. Je passais d’abord ma main dessus, et dedans, et dessous ; j’y plongeais le bras, je m’y baignais le visage, j’étais