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Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/256

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terne de l’impériale, se remuer en l’air et sauter sur la croupe fumante des chevaux, le ciel était pur et les étoiles brillaient comme dans les plus belles nuits d’été.

Vers dix heures du matin, il descendit à Y… et de là fit la route à pied jusqu’à X… ; il alla vite, cette fois, d’ailleurs il courait pour se réchauffer. Les fossés étaient pleins de glace, les arbres, dépouillés, avaient le bout de leurs branches rouge, les feuilles tombées, pourries par les pluies, formaient une grande couche noire et gris de fer, qui couvrait le pied de la forêt, le ciel était tout blanc sans soleil. Il remarqua que les poteaux qui indiquent le chemin avaient été renversés ; à un endroit on avait fait une coupe de bois, depuis qu’il avait passé par là. Il se dépêchait, il avait hâte d’arriver. Enfin le terrain vint à descendre, là il prit, à travers champs, un sentier qu’il connaissait, et bientôt il vit, dans le loin, la mer. Il s’arrêta, il l’entendait battre sur le rivage et gronder au fond de l’horizon, in altum ; une odeur salée lui arriva, portée par la brise froide d’hiver, son cœur battait.

On avait bâti une nouvelle maison à l’entrée du village, deux ou trois autres avaient été abattues.

Les barques étaient à la mer, le quai était désert, chacun se tenait enfermé dans sa maison ; de longs morceaux de glace, que les enfants appellent chandelles des rois, pendaient au bord des toits et au bout des gouttières, les enseignes de l’épicier et de l’aubergiste criaient aigrement sur leur tringle de fer, la marée montait et s’avançait sur les galets, avec un bruit de chaînes et de sanglots.

Après qu’il eut déjeuné, et il fut tout étonné de n’avoir pas faim, il s’alla promener sur la grève. Le vent chantait dans l’air, les joncs minces, qui poussent dans les dunes, sifflaient et se courbaient avec furie, la mousse s’envolait du rivage et courait sur le sable, quelquefois une rafale l’emportait vers les nuages.

La nuit vint, ou mieux ce long crépuscule qui la