Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/271

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Elles me regardèrent étonnées.

— Ma sœur ! vous m’avez dit de prier, j’ai prié pour qu’elle revienne, vous m’avez trompé !

— Mais c’était pour son âme !

Son âme ? Qu’est-ce que cela signifiait ? On m’avait souvent parlé de Dieu, jamais de l’âme.

Dieu, je comprenais cela au moins, car si l’on m’eût demandé ce qu’il était, eh bien, j’aurais pris la linotte de Lélia, et, lui brisant la tête entre mes mains, j’aurais dit : « Et moi aussi, je suis Dieu ! » Mais l’âme ? l’âme ? qu’est-ce cela ?

J’eus la hardiesse de le leur demander, mais elles s’en allèrent sans me répondre.

Son âme ! eh bien, elles m’ont trompé, ces femmes. Pour moi, ce que je voulais, c’était Lélia, Lélia qui jouait avec moi sur le gazon, dans les bois, qui se couchait sur la mousse, qui cueillait des fleurs et puis qui les jetait au vent ; c’était Lélia, ma belle petite sœur aux grands yeux bleus, Lélia qui m’embrassait le soir après sa poupée, après son mouton chéri, après sa linotte. Pauvre sœur ! c’était toi que je demandais à grands cris, en pleurant, et ces gens barbares et inhumains me répondaient : « Non, tu ne la reverras pas, tu as prié non pour elle, mais tu as prié pour son âme ! quelque chose d’inconnu, de vague comme un mot d’une langue étrangère ; tu as prié pour un souffle, pour un mot, pour le néant, pour son âme enfin ! »

Son âme, son âme, je la méprise, son âme, je la regrette, je n’y pense plus. Qu’est-ce que ça me fait à moi, son âme ? savez-vous ce que c’est que son âme ? Mais c’est son corps que je veux ! c’est son regard, sa vie, c’est elle enfin ! et vous ne m’avez rien rendu de tout cela.

Ces femmes m’ont trompé, eh bien, je les ai maudites.

Cette malédiction est retombée sur moi, philosophe