C’est que l’époque des Césars est en effet le plus bel acte, le plus somptueux, le plus sanglant de cette longue tragédie que Rome a jouée au monde ; il y a là deux ou trois hommes qui sont venus pour épuiser les dernières voluptés, pour vider le vin des coupes, pour chasser la vertu des cœurs et faire place, après, à des voluptés plus mâles, au vin du calice et aux vertus chrétiennes.
L’œuvre de Rome, c’est la conquête du monde. Quand le monde fut conquis, elle n’eut plus qu’à s’enivrer et à s’endormir ; gorgée de sang chaud, de vin, de voluptés, elle roule sur son or, elle chancelle et elle tombe épuisée. Vous ne rêverez rien de si terrible et de si monstrueux que les dernières heures de l’Empire, c’est là le règne du crime, c’est son apogée, sa gloire ; il est monté sur le trône, il s’y étale à l’aise, en souverain ; il se farde encore pour être plus beau, à aucune époque vous le verrez pareil ; Alexandre VI est un nain à côté de Tibère, et les imaginations de dix grands poètes ne créeraient pas quelque chose qui vaudrait cinq minutes de la vie de Néron. Nous remarquerons d’abord le crime grand, politique et froid, dans la personne de Sylla : il accomplit sa mission fatalement, comme une hache, puis il abdique la dictature et s’en va au milieu du peuple ; c’est là un orgueil plein de grandeur, ce sont là les crimes d’un homme de génie. J’aime encore Marius pleurant sur les ruines de Carthage ; mais Pompée, mais Caton, mais Brutus, que leurs têtes républicaines sont étroites à côté de ce large front de César, rendu chauve avant l’âge par les débauches de Rome et par ses pensées de géant ! Il avilit le Sénat, tue en Gaule des populations entières, fait entrer des Gaulois dans le Sénat, et est aimé des peuples vaincus attelés à son char de triomphe. On conspire contre lui et il pardonne, il voulait rétablir Corinthe et Carthage, il voulait conquérir l’Asie… mais il mourut… comme un homme,