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Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/40

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smarh.

Oui !

satan.

En effet, tu étais un saint.

smarh.

Qui plaçait tout en Dieu.

satan.

Ah ! cela est vrai, je me rappelle ! Tu étais donc heureux, toi, tu jouissais d’une béatitude pure et éternelle, tandis que, tout autour de toi, tout ce qui vivait se tordait dans une angoisse infinie, éternelle. Quoi ! tu n’avais jamais senti tout ce qu’il y avait de faux dans la vie, d’étroit, de mesquin, de manqué dans l’existence ; la nature te paraissait belle avec ses rides et ses blessures, ses mensonges ; le monde te semblait plein d’harmonie, de vérité, de grâce, lui, avec ses cris, son sang qui coule, sa bave de fou, ses entrailles pourries ; tout cela était grand, ce monceau de cendres ! ce mensonge était vrai ! cette dérision te semblait bonne !

smarh.

Mais depuis que vous êtes avec moi, tout est changé, maître, je ne sais combien de choses sont sorties de moi, combien de choses y sont entrées ; il me semble, depuis, que l’infini s’est élargi, mais est devenu plus obscur.

satan.

C’est cela, vois-tu ; à mesure qu’on avance, l’horizon s’agrandit ; on marche, on avance, mais le désert court devant vous, le gouffre s’élargit. La vérité est une ombre, l’homme tend les bras pour la saisir, elle le fuit, il court toujours.