Mais ne suis-je pas déjà assez ployé comme un roseau ? Tu veux donc que l’orage aille toujours jusqu’à ce qu’il m’ait brisé tout à fait ?
Oui ! pour te laisser sur quelque grève déserte, où le désespoir, comme un vautour, viendra manger ton âme.
J’irai donc ainsi de dégoûts en dégoûts, repu et toujours traîné aux festins ! tu vas me conduire ainsi par les mondes ! Oh ! j’en ai assez. Grâce ! toujours de l’ennui morne et sombre ! toujours le doute aux entrailles ! pitié ! pitié !
Non ! non ! je veux que tu n’aies plus de doute, et que ta pensée s’arrête et ne tournoie plus sur elle-même comme la terre dans sa course ivre et chancelante.
Et que vas-tu me faire ? Vas-tu me changer, me donner un autre corps ? car le mien est déjà vieux ; j’ai en moi le souvenir de dix existences passées, et déjà je me suis heurté à tant de choses que si je vais ainsi je tomberai en poussière.
Ton sang est vieux, dis-tu ? j’y ferai couler du poison dedans, qui nourrira ta chair flétrie ; je te soutiendrai jusqu’au jour où tu pourras aller seul, jusqu’au jour où je te lâcherai de ma griffe.
Maintenant va, cours, bondis dans les vices, les crimes et les passions. Oh ! je vais animer ton existence, je vais te gonfler le cœur jusqu’à ce qu’il crève