Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/102

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lement le ciel et demandait à Jules le nom des étoiles ; le plus souvent, la tête baissée, elle jouait avec son pied dans l’herbe, souriant seulement à ce qui se disait. C’était bien pour elle, pour contempler ses yeux levés en l’air, pour jouir du plaisir de la voir, qu’il endurait les interminables bavardages de sa compagne, ses questions oiseuses, ses compliments outrés.

Pendant que vous étiez à lire un livre aimé, savourant chaque mot, dégustant chaque phrase, et la retournant dans votre tête comme on retourne sur la langue un fruit juteux, entrant alors dans la pensée de l’auteur et rêvant aux horizons qu’elle vous découvre, il vous est arrivé, sans doute, de bondir de douleur aux sons d’un orgue de Barbarie qui entamait sa romance, au cri de la porte qui s’ouvrait et laissait entrer une visite importune. Eh bien, Jules se soumettait chaque jour à cet ennui, plus cruel encore en ce qu’il était prévu, pour lire sur le visage de la jeune fille un vague cantique écrit nulle part ailleurs, pour se repaître à loisir de cette poésie nouvelle, qui se révélait à lui jusque dans le souffle de ses narines et les plis de son vêtement ; il s’était fait l’ami et presque l’amant de la duègne aux dents gâtés et à la voix rauque, pour laquelle il avait conçu, dès l’abord, une aversion profonde.

Lucinde, en effet, l’appelait malgré lui, il sortait de la beauté de cette femme quelque chose d’attractif qui faisait venir à elle ; rien de plus doux que son visage, rien de plus simple que son maintien, et pourtant toute sa personne troublait ; de suite on se sentait disposé à l’adorer, à mourir pour elle, puis tout à coup le cœur se révoltait et l’on se mettait à la haïr sans cause. Ses longs cheveux châtains, où la lumière traçait des filons d’or, abondants et soyeux, si fournis que sa tête en semblait lourde, roulés en torsades derrière sa nuque, tombaient presque jusque sur ses épaules ; séparés sur le devant en longues papillotes mobiles, ils