Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/125

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hutte en terre qu’il s’était faite avec ses mains, en ramassant de la boue quand il avait plu ; un bonnetier retiré, qui avait acheté un château dans les environs, lui donna cinquante francs par an, pour garder ses cochons et vider leur étable où il couchait avec eux, pour les soigner quand ils étaient malades. J’entrai un jour là dedans, à peine si l’on y pouvait respirer : « Eh bien, Monsieur, me dit-il en me montrant la botte de paille qui composait son lit, je suis heureux maintenant, j’ai un bel appartement », tandis que le palefrenier eût été indigné de coucher dans la porcherie et enchanté de dormir à l’office, ce qui eût révolté le valet de chambre.

Le bonheur est de même, cage plus ou moins large pour des bêtes petites ou grandes ; le milan étoufferait dans celle où le serin vole à l’aise, et d’autres, où l’on enferme des vautours, feraient mourir les lions ; mais que les barreaux soient resserrés ou élargis, il arrive un jour où l’on se trouve tout haletant sur le bord, regardant le ciel et rêvant l’espace sans limites.

Henry et sa maîtresse vivaient en plein amour. Les premiers jours, et dans l’enivrement d’eux-mêmes, à peine s’ils pouvaient y croire. Ils se regardaient, avides et stupéfaits, craignant de s’échapper l’un à l’autre et voulant que cela durât toujours.

Chaque heure apportait son plaisir différent, ils n’étaient pas heureux le matin comme ils l’étaient le soir, ni la nuit de la même manière que le jour ; les choses les plus communes ou les plus indifférentes avaient pour eux une signification particulière. Ainsi elle lui promettait qu’à telle heure elle remuerait un meuble, ce serait un signal, elle penserait à lui, et l’heure approchant, Henry attendait ; il lui promettait, à son tour, qu’il marcherait en frappant des pieds, et elle l’écoutait marcher, se tenant le cœur avec ses deux mains.