Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/13

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« P.-S. — Mon père vient de rentrer, il m’a fait demander dans sa chambre ; c’est fini, je suis douanier. Dans huit jours j’entre comme surnuméraire, il faut, ce soir, que j’aille faire ma visite au Directeur pour le remercier… il me faudra me contenir. Je n’en puis plus, plains-moi. Adieu !

« Ton ami jusqu’à la mort.

« Jules.

« Je t’enverrai plus tard la liste d’ouvrages que j’ai envie que tu m’apportes aux vacances. N’est-ce pas bientôt la saison des bals masqués ? Dis-moi le costume que tu prendras. M. A., le receveur, qui vient de se marier, donnera le 25 une grande soirée, il veut que ce soit tout à fait comme à Paris.

« J’irai. »

IV

Henry était encore dans son lit quand il lut cette lettre ; les illusions qu’elle retraçait lui parurent déjà si vieilles qu’elles ne le touchèrent point, et les misères dont son ami se lamentait si puériles qu’il ne le plaignit pas. Il sourit même un peu de pitié, en voyant son admiration pour Paris et sa frénésie littéraire, qu’il regarda, du haut de sa sagesse de débarqué de huit jours, comme deux maladies de province ; après quoi il replia la lettre dans ses mêmes plis, la mit sur sa table de nuit, et continua, couché sur le dos et les yeux levés au plafond, à réfléchir sur ses illusions propres et ses misères personnelles.

On verra dans la suite comment les premières changèrent de nature et pourquoi les secondes ne diminuèrent pas.