Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/133

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gnées d’un silence digne, entrecoupé de soupirs expressifs.

Henry lui-même s’y laissait prendre.

— Est-ce que tu es réellement jalouse ? lui demandait-il.

— Moi, jalouse d’elle ? de cette dondon-là ? Quand elle serait belle, après tout, qu’est-ce que cela me fait ? est-ce que je l’aime ?

— Bien sûr ? demandait encore Henry.

— Peux-tu en douter ! disait-elle.

Et elle lui entourait le cou de ses deux bras et le baisait sur les paupières.

XIX

C’était un soir d’été. Mme Renaud, qui avait été assez triste toute la journée, nonchalante alors et étendue silencieusement dans le fauteuil de son mari, semblait absorbée dans ses pensées ; le père Renaud, qui, au contraire, avait été assez joyeux pendant tout le dîner, la face épanouie et les joues rouges, était assis sur le bord de la fenêtre et humait l’air pour hâter la digestion ; Henry, en face de lui, regardait Mme Renaud du coin de l’œil ; on ne disait rien, le temps était beau et le soleil se couchait dans les tours de Saint-Sulpice. Enfin le père Renaud se leva et prit son chapeau.

— Vous sortez ? dit Mme Renaud.

— Oui, ma bonne.

— Ah ! vous sortez, reprit Mme Renaud lentement, très bien ! Et où allez-vous ?

— Où je vais ? répéta le mari étonné.

— Oui, où allez-vous ? voyons, cherchez un peu une excuse, faire votre tour sans doute ? un tour qui durera trois heures, le temps d’aller rue Saint-Honoré, d’y rester et d’en revenir — la rue Saint-Honoré était