Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/151

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de tout, voient tout, dépensant leur activité en intrigues, soulèvent des passions, excitent des haines, vous torturent pour s’amuser et vous repoussent par orgueil, vivant dans les désirs et mourant vierges. Mlle Aglaé était de cette race, elle avait l’air d’une coquette, elle en savait plus qu’une fille, et c’était une prude.

Les bagues qu’Émilie et Henry s’étaient échangées, c’était elle qui les avait commandées ; elle avait choisi le peintre pour leurs portraits ; et leurs lettres passaient par ses mains ; mais si elle en respectait scrupuleusement le cachet, une fois lues par son amie, elle se les faisait lire et relire, les aimant presque autant que si elles lui eussent été adressées.

Elle était si bonne pour eux, si intelligente de tous les caprices, que quelquefois elle restait en tiers dans leur tête-à-tête, de sorte qu’Henry, au lieu de faire la cour à une femme, la faisait à deux ; il fallait bien en effet lui dire quelque douceur, et Mlle Aglaé aimait beaucoup ce jeu, qui plaisait moins à Mme Émilie.

— Elle nous est bien dévouée, dit celle-ci à Henry le lendemain de son retour, mais je ne veux plus qu’elle vienne quand tu seras là, je ne veux pas qu’un autre que toi entende ce que je te dis ; elle restera quand il y aura du monde, d’autres personnes, quand nous ne serons pas seuls.

Elle s’informa de ce qu’il avait fait pendant ses vacances.

— Où allais-tu pour lire mes lettres ? moi, je m’enfermais dans ma chambre, et puis je les cachais sur mon cœur. T’a-t-on demandé si tu avais une maîtresse ? qu’as-tu répondu, Henry ? A-t-on voulu savoir si elle était belle ?

Elle lui fit jurer ensuite qu’aucune autre ne lui avait plu et que le souvenir de son Émilie, comme un talisman infaillible, l’avait gardé de toute séduction, ce qu’Henry jura vingt fois, car elle le lui demandait